Nastasia Noens fonce, sur les skis comme dans la vie !

Nastasia Noens fonce, sur les skis comme dans la vie !

Déterminée et directe, nous rencontrons aujourd’hui la skieuse : Nastasia Noens. Spécialiste du slalom spécial, elle est championne du monde par équipe, multiple championne de France, trois fois sur le podium en coupe du monde et se classe 7ème durant les Jeux de Sotchi (2014). Après un long parcours sous le maillot tricolore, à aujourd’hui 32 ans, Nastasia reste une mordue de sport. C’est pour elle une évidence depuis toujours. J’ai été ravie de discuter avec celle qui concilie à merveille performance et féminité.

Nastasia Noens fonce, entre les piquets ou dans la vie. Jamais complexée par le fait de pratiquer aux côtés des hommes, elle a su se faire une place de choix dès le début. Il faut dire qu’historiquement le ski est aussi l’une des premières activités à avoir accepté les femmes. Dès le début du XXe siècle, les skieuses s’octroient le droit de participer aux compétitions, une première dans le monde du sport. Avec Nastasia nous avons discuté de ce qu’est la vie d’une skieuse en équipe de France, des représentations et divergences que le sport peut parfois engendrer entre les hommes et les femmes. Mais aussi de la notion de « mérite », valable pour les deux sexes. Rencontre avec une femme puissante, qui a toujours su se relever.

Peux-tu nous raconter ton enfance et ton parcours ?

Je suis née à Nice. Lorsque j’étais petite j’allais souvent à Auron, la station de ski. Mes parents ne sont pas du tout issus du milieu de la montagne mais ont toujours beaucoup pratiqué de sport. Mon père faisait du water-polo. Il était en équipe de France. Le sport fait partie de ma vie depuis tout toujours. En parallèle j’ai fait beaucoup de natation. A l’entrée en 6e j’ai décidé de partir en ski-études au collège Jean Franco à côté d’Auron. Voilà comment j’ai commencé le ski.

Il est rare de voir des personnes qui ne sont pas issues de la montagne arriver dans le ski de compétition à un tel niveau. D’où vient cet intérêt pour le ski ?

Très jeune j’ai été dans un ski-club assez convivial. Ce sont les amis, l’ambiance et le sport en lui-même qui m’ont beaucoup plu. J’avais aussi la chance de voir comment cela se passait en natation, que je pratiquais en parallèle. En réalité, c’est cette sensation de liberté qui m’a tout de suite plu dans le ski. Cela n’a rien à voir avec la natation où on fait des allers-retours. Le ski est beaucoup plus varié, que ce soit dans les piquets ou en poudreuse. On s’y amuse beaucoup plus. Et puis, il s’est avéré que j’étais assez douée. L’intérêt vient aussi de là, c’est certain. Lorsque l’on se fait plaisir et que l’on commence à avoir quelques résultats, cela donne le gout de la pratique. De la gagne.

À quel moment as-tu vraiment commencé la compétition ?

Assez tard à vrai dire par rapport aux autres. Vers 12 ans j’ai fait ma première compétition. J’étais assez douée, car j’avais déjà touché à beaucoup de sport. Tout de suite, j’ai été la petite nouvelle qui fait des résultats donc les choses se sont faites assez rapidement et facilement. J’ai été vite classée dans les 2 meilleures de ma région. Puis, en 4e-3, il y a des championnats nationaux et je me suis retrouvée dans les deux meilleures françaises. J’ai gagné des étapes et j’ai ensuite fait le choix de partir dans le Dauphiné suivre le ski-études dès la seconde à l’internat de Villard-de-Lans.

Puis j’ai été intégrée à la section sportive de haut niveau à Albertville. J’ai été interne depuis la 6e. Je pense que c’est l’école de la vie. Ça me semblait naturel, on se sent déjà grande à cet âge-là. J’ai toujours été très contente d’être à l’internat, cela construit beaucoup l’autonomie et l’indépendance. J’étais à 1h de Nice et mes parents venaient me rendre visite.

« Lorsque l’on se fait plaisir et que l’on commence à avoir quelques résultats, cela donne le goût de la pratique. De la gagne »

Quel est ton ressenti vis à vis du sport et du ski féminin ?

Je pense que les choses ont beaucoup évolué depuis quelques années. Le sport féminin prend plus de place. On en parle plus et on le regarde plus. Avant il était un peu tabou. On n’en parlait pas beaucoup. Je dois même admettre que je ne le suivais pas du tout et j’ai commencé à m’y intéresser petit à petit. La sportive prend donc de la valeur. Par exemple, les marques s’y intéressent de plus en plus. Mais sa place reste encore une échelle en dessous, surtout au niveau des médias et de l’image de la femme.

Dans le cadre du ski, j’ai eu la chance de faire des compétitions avec des garçons très jeune. Ici, les files ont leur place. Je ne me suis jamais sentie écartée. Bien au contraire on était meilleures que les garçons parfois. Du moins pas loin. Cela m’a aidé à toujours voir la compétition avec eux dans le bon sens et ne jamais me sentir en infériorité.

Concernant le circuit international en ski alpin, comment les choses se passe entre hommes et femmes durant les compétitions ?

Nous n’avons pas les mêmes circuits pour la Coupe du monde. Par contre les entraînements se font au centre national commun à Albertville. On se croise beaucoup l’été, sur Ushuaia par exemple. On s’entraîne très souvent au même endroit. Ces moments sont très conviviaux. En revanche, l’hiver, hormis durant les Jeux Olympiques et les Mondiaux il est très rare de se croiser sur le circuit.

As-tu l’impression qu’une skieuse peut parvenir à la même reconnaissance/respect qu’un skieur ?

Oui, je pense. Prenons, Mikaela Shiffrin ou Petra Vlhovà par exemple. Elles arrivent à avoir autant de respect qu’un homme du point de vue des résultats. Une médaille d’or reste une médaille d’or point. À mes yeux du moins, elle a autant de valeur. Il y a autant de mérite.

« Je pense que les choses ont beaucoup évolué depuis quelques années. Le sport féminin prend plus de place. On en parle plus et on le regarde plus. Avant il était un peu tabou »

Il est vrai qu’historiquement, la skieuse a gagné sa place très tôt en tant que sportive au côté des hommes. Ce n’est pas le cas dans tous les sports. Pour vous toutes, c’est une évidence d’être est l’égale du skieur ?

Oui c’est vrai. Depuis toute petite j’ai été confrontée aux garçons. J’ai toujours eu accès aux mêmes chances et opportunités qu’eux. Dans le cadre du ski nous sommes un peu plus épargnées. Après, il est vrai que si l’on rentre un peu plus dans les détails on constate tout de même des inégalités. Vis-à-vis des marques ou des financements par exemple. On est moins bien payées. Mais je pense qu’une Shiffrin peut avoir autant de poids d’un grand champion on le voit sur les réseaux sociaux. Elle a plus d’un million d’abonnés. Ce n’est pas le cas d’Alexis Pinturault qui vient pourtant de remporter le gros globe de cristal.

D’ailleurs, j’en profite pour rebondir à ce sujet. Les réseaux sociaux jouent un rôle énorme et offrent une visibilité de plus en plus importante aux sportives. L’image des corps se décomplexe. Pour toi est-ce que cette érotisation fausse la donne auprès du grand public ? Par exemple, si je compare le nombre de « likes » sur une photo de Lindsey Vonn en maillot avec celle d’une victoire on voit très nettement la différence. Qu’en penses-tu ? 

C’est le jeu. Malheureusement c’est ce qui marche. C’est le cas pour toutes les filles en général. Cela dépasse le cadre du sport et reste le grand problème des réseaux sociaux. Ça dépasse largement le cadre du ski. C’est l’image de la femme dans sa globalité qui est touchée.

« Une médaille d’or, qu’elle soit gagnée par une femme ou un homme, reste une médaille d’or point. À mes yeux du moins, elle a autant de valeur. Il y a autant de mérite »

Concrètement, quand tu skies dans un cadre loisir avec des garçons comment ça se passe ? 

Je ne crois pas qu’il y ait de différence. On peut peut-être voir un décalage durant la montée si on fait du ski de randonnée par exemple. Mais au niveau de la descente il n’y a aucun souci, je suis une bonne skieuse, on ne m’a jamais dévalorisée. S’il faut envoyer, cela ne pose aucun problème.

C’est une très bonne chose. J’ai discuté durant le dernier entretien avec Marie Chauché (https://inspirees.org/marie-chauche-une-jeune-surfeuse-entre-sagesse-et-audace/)  qui raconte comment cela se passe dans le cadre du surf. Elle parle du fait qu’il est nécessaire pour une femme de « gagner sa légitimité à l’eau ». Ce n’est donc pas le cas dans le monde du ski ?

Tout dépend. En slalom spécial, ce sont des tracés imposés. C’est une discipline technique qui ne pose pas de problème ou de question quant au fait qu’il s’agisse d’une épreuve femme ou homme. Alors qu’en descente, certains voient les choses différemment. Mon copain est descendeur. Il dit que jamais les filles ne pourront faire la descente de Kitzbühel car elle est trop dangereuse. Alors que la skieuse Ester Ledecka a déjà affirmé vouloir tenter cette course. Bref, il y a des divergences. Dans mon cas, c’est-à-dire dans le registre du slalom, on ne voit pas ce « cap » que l’on retrouve dans les disciplines de vitesse. J’ai ouvert cette année des manches de coupe du monde homme et cela ne pose aucun problème.

Tu parlais précédemment du sponsoring, est-ce possible et facile pour une skieuse de haut niveau de vivre de cette activité ?

Oui. J’ai eu de la chance. La ville de Nice me soutient depuis le début. Très souvent, la première difficulté réside dans le fait d’obtenir le suivi des stations. J’ai gagné ma vie assez vite. À 18 ans, j’étais complètement indépendante financièrement. Mes résultats suivaient donc j’ai pu vivre de ma passion très tôt et ce jusqu’à aujourd’hui. Je n’ai jamais travaillé en parallèle. Je suis également suivie par les douanes. Dans le ski, on n’est pas considérés comme « professionnels ». On ne peut donc pas être salariés de notre club. Il est important que la douane nous permette de vivre de ce sport. Il nous demande tellement de temps, il serait impossible de concilier une activité professionnelle en plus. À ce niveau-là, tout le monde, homme ou femme, gagne sa vie correctement.

Avec Taina Barioz ( douanes )  et Tessa worley ( armée )

Comment se passe la gestion de l’équipe de France. Considères-tu que la gestion du budget, du confort de vie ou du matériel est équitable ?

Je n’ai jamais eu de souci à ce niveau-là non plus. On n’a jamais manqué de rien. Mais, je sais que les entraineurs ont du mal à défendre ces acquis. Il faut aussi dire que l’on fait moins de résultats que les hommes ces derniers temps. C’est un fait. J’accorde une grande importance à la notion de « mérite ». Les hommes jouent les podiums tous les weekends. Les dernières années sont au contraire très difficiles en termes de résultats féminins. Il y a peu de monde. Donc quelque part, cela dépasse la notion de sexe.

« Certains voient les choses différemment. Ils disent que jamais les filles ne pourront faire la descente de Kitzbühel car elle est trop dangereuse. Alors que la skieuse tchèque Ester Ledecka a déjà affirmé vouloir tenter cette course »

Comment expliques-tu cette différence vis-à-vis du nombre de skieuses ? Car, du potentiel chez les jeunes il devrait y en avoir autant que chez les garçons ?

Bien sûr ! On paye clairement le frais d’une politique qui a été mise en place il y a plusieurs années maintenant. On a sacrifié une génération de skieuses. Il faut quand même dire que je suis de 1988 et la prochaine slalomeuse est née en 1998 ou 1999. Il y a un énorme cap à franchir dans la gestion des jeunes. Les dirigeants n’ont pas cru en leurs filles. Ils en ont dégouté beaucoup. On le paye maintenant car cela a engendré un creux énorme. Il faut dire que c’est un monde très matcho. Le jour où j’arrêterai, j’aimerais bien mettre un pied dans la fédération ou dans les instances. On voit de plus en plus de femmes entraineurs et c’est une bonne chose.

Donc derrière un « bel emballage » le ski à quand même des choses à améliorer pour l’égalité skieurs-skieuses ?

Bien sûr ! Sinon je ne serai pas la seule slalomeuse au départ des championnats du monde de slalom… Clairement, il n’y a que Tessa Worley qui marche très bien dans le ski féminin. Chez les garçons il y a toujours quatre personnes différentes susceptibles de monter sur la boite. Tout le monde est conscient de ce décalage dans le milieu. Lorsque j’ai commencé nous étions quatre françaises à être dans les trente meilleures mondiale, il y avait une énorme densité. Depuis, elles ont toutes arrêté.  Maintenant la reconstruction se fait chez les très jeunes et prend beaucoup de temps.

« Les dirigeants n’ont pas cru en leurs filles. Ils en ont dégouté beaucoup. On le paye maintenant car cela a engendré un creux énorme. Il faut dire que c’est un monde très matcho »

D’un point de vue médiatique, quel est ton rapport aux journalistes ? Trouves-tu que le traitement est assez égalitaire ou non ?

Non, je ne dirai pas « égalitaire » mais cela rejoint ce que je disais précédemment. La visibilité dépend aussi des résultats de la personne. La notion de « mérite » est aussi importante. Les années durant lesquelles j’ai été forte, les médias s’intéressaient à moi. Tessa (Worley), qui est double championne du monde en individuel, a déjà fait une « Une » de L’Équipe. Ce sont des reconnaissances importantes. Je pense qu’il n’y a rien de discriminatoire là-dedans.

Que penses-tu de l’impact des sports de montagne, très proche de la nature donc, sur l’écologie ?

C’est compliqué de parler d’écologie dans le cadre ski. Nous avons besoin de pistes très dures, on utilise de l’eau ou du sel. On monte en remontées mécaniques, on prend beaucoup l’avion donc il y a beaucoup de contradictions. Avec le COVID on a dû faire beaucoup de kilomètres, en bus ou en voiture. Donc, oui, les stations essayent de s’adapter car il le faut mais il reste énormément de chemin à parcourir. Nous constatons l’évolution du réchauffement climatique chaque année. Aux deux Alpes, l’enneigement du mois de juin est de plus en plus catastrophique (même si cette année a été une très belle année). Et ça ne va pas aller en s’améliorant. C’est à tout le monde d’agir même si les skieurs seront parmi les premiers à en payer les conséquences.

Tu t’es beaucoup blessée ces dernières années. Comment trouves-tu la force de revenir à chaque fois ?

Oui deux fois les croisés et ma dernière blessure est une fracture du tibia avec arrachement osseux de la malléole. Mon caractère et ma passion me permettent de revenir. Je suis une vraie compétitrice. Je ne lâche jamais rien, même si à l’instant T c’est très dur. Désormais j’en suis très fière. Cette année est encore un bon exemple. L’an passé à la même période je n’aurais jamais imaginé pouvoir recourir un jour tellement je souffrais. Au fur et à mesure j’ai pu trottiner un peu début septembre. Malgré tout, ces blessures sont des expériences qui m’aident tous les jours à me dépasser. C’est une force que j’ai en moi. Je ne m’apitoie pas sur mon sort, je vais chercher ce qui me plait le plus : la performance sur les skis.

Quelle est ta vision de la femme moderne ?

C’est drôle que tu me demandes cela car en ce moment j’écoute beaucoup de podcast. Notamment celui de Léa Salamé « femmes puissantes ». Je me le mets souvent dans les oreilles lorsque j’ai de grosses séances. J’écoute toutes ces femmes inspirantes. Pour moi, la femme moderne est puissante, elle rêve, elle agit et elle ne subit pas.

Si je te dis que les sportives sont forcément casse-cou, masculines ou garçons manqués ?

Et bien je dis non ! Du moins, cela ne m’a jamais atteint. J’ai toujours été très féminine, je viens de la ville. Lorsque je suis arrivée en Savoie ça a été difficile car les montagnardes étaient beaucoup plus considérées comme « masculines ». En arrivant là-bas, j’adorais me maquiller et m’habiller. Je faisais un peu « tâche », disons-le. J’ai toujours conservé cette féminité et j’ai l’impression que ça évolue plutôt bien. Les skieuses, voire les sportives dans leur globalité sont souvent féminines. Elles sont des modèles pour beaucoup de personnes. Je ne me sens pas garçon manqué. J’ai toujours été bien dans mon corps.

« Pour moi, la femme moderne est puissante, elle rêve, elle agit et elle ne subit pas »

Qui sont les personnes qui t’inspirent ? Pour leurs convictions ou leurs actions par exemple ?

Je n’ai jamais vraiment eu de « modèle ». Je pense à mes parents qui sont de véritables exemples. J’ai toujours été très proche d’eux. Ils m’ont toujours aidé à être la femme que je suis aujourd’hui. Très indépendante et sûre d’elle. J’adore ma vie malgré tous les moments difficiles. Ils ont toujours été à mes côtés. Lorsque je me suis blessée il y a deux ans, j’avais 31 ans et je me disais : « mais mon dieu c’est encore mes parents qui vont venir me chercher à l’aéroport et m’amener à l’hôpital ». Même à cet âge, ils sont présents et c’est important pour moi. Ils sont mes plus beaux modèles.

« J’ai toujours conservé cette féminité et j’ai l’impression que ça évolue plutôt bien. Les skieuses, voire les sportives dans leur globalité sont souvent féminines »

Pour finir, quelles sont tes aspirations à plus ou moins long terme ?

Rester dans le sport, car il est la plus belle école de la vie. Je n’ai jamais été très scolaire. Il m’a aidé à m’épanouir, m’évader et me surpasser. Si je peux le faire partager à mon échelle, ce serait l’idéal. J’aimerais donner de l’envie aux autres, donner de mon expérience. Je ne sais pas encore exactement comment. Je ne me vois pas vraiment entraîneur, car j’ai déjà passé toute ma vie dans le ski. Mais dans tous les cas j’aimerais être à l’écoute.

 

 

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